Prochaine audience : 4 février 2019 à Marseille (Cour Administrative d’Appel)

Contre toute attente, le recours porté par notre association adhérente « SOS Lez Environnement » contre le permis de construire du bâtiment commercial Décathlon sera examiné à l’audience de la Cour Administrative d’Appel de Marseille du lundi 4 février 2019, à 9h30.

Pourquoi par la Cour Administrative d’Appel de Marseille et non pas le Tribunal Administratif de Montpellier devant lequel le recours avait été déposé en mars 2017 ? Et pourquoi « contre toute attente » ?

Sans entrer dans des détails juridiques assez complexes, il convient de rappeler que, pour les projets de création ou d’extension de surfaces de vente de magasins de commerce de détail soumis à une autorisation d’exploitation commerciale et pour lesquels un permis de construire est nécessaire ( ce qui est le cas du projet de magasin Décathlon) la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (ACTPE – dite aussi « loi Pinel ») a supprimé la décision spécifique par laquelle la commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) ou, le cas échéant, la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC), délivrait cette autorisation : « lorsque le projet est soumis à autorisation d’exploitation commerciale au sens de l’article L. 752-1 du Code de commerce, le permis de construire tient lieu d’autorisation dès lors que la demande de permis a fait l’objet d’un avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d’aménagement commercial ».
Mais l’écart entre la date prévue d’entrée en vigueur de cette loi, le 18 décembre 2014, et celle du décret d’application, le 15 février 2015, a créé une grande insécurité juridique, mal réglée par des dispositions transitoires particulièrement lacunaires. ((voir https://www.august-debouzy.com/fr/blog/43-permis-de-construire-tenant-lieu-dautorisation-dexploitation-commerciale)) Or la question de savoir si un permis de construire rentre dans le cadre de cette nouvelle loi ou non est importante – et pas seulement « anecdotique » – car elle détermine quelle est la législation administrative compétente. La loi ACTPE a prévu que ce sont désormais les cours administratives d’appel qui sont compétentes pour connaître en premier (et dernier) ressort du contentieux des permis de construire pour les projets commerciaux soumis à cette loi (les « nouveaux » projets), alors que ce sont les tribunaux administratifs pour les projets qui n’y sont pas soumis (les « anciens » projets) . Ce qui est très grave à deux titres : 1°) cela supprime un degré de juridiction, puisque le jugement en première instance ne pourra être contesté que devant la juridiction supérieure, à savoir le Conseil d’État (donc uniquement sur la forme et non sur le fond – et c’est très cher !) 2°) les recours devant une CAA doivent obligatoirement être présentés par un avocat – ce qui n’est pas le cas pour les recours devant un TA. Avec pour effet de « dissuader » un certain nombre d’associations environnementales qui n’ont pas les moyens de faire face aux frais d’avocats.
Le permis de construire a été délivré par le maire de Saint-Clément en septembre 2016. L’arrêté autorisation ne faisait aucune mention de la loi ACTPE, et précisait d’ailleurs, dans l’indication – obligatoire – des voies de recours, que l’arrêté pouvait être contesté auprès du Tribunal Administratif de Montpellier dans un délai de deux mois – comme il est d’usage pour tous les permis. Notre recours a été déposé devant le tribunal administratif de Montpellier en mars 2017 (les 4 mois de délai supplémentaire étant dus au dépôt préalable d’un recours gracieux) sans l’assistance d’avocat –  pour des raisons financières, le cas ne nous semblant pas très difficile.
Ce recours attaque la décision administrative de la commune de Saint-Clément. Décathlon n’est que partie associée en tant que bénéficiaire de la décision attaquée. Il faut attendre décembre 2017 (9 mois plus tard ! ) pour que Décathlon produise un mémoire en défense (mais rien de la part de la commune), ne portant que sur la forme : outre leur tentative très maladroite d’essayer de montrer que SOS Lez n’avait pas intérêt à agir – moyen qui a pu facilement être écarté – ils demandaient le dessaisissement du TA de Montpellier et le renvoi en première instance à la Cour Administrative d’Appel de Marseille, en invoquant les nouvelles dispositions de la loi ACTPE.
Dans notre réplique, nous essayons de montrer que ce permis tombe dans les dispositions transitoires de la loi (au vu des dates et en citant quelques jurisprudences de cas analogues) et ne devrait donc pas être considéré comme valant autorisation commerciale. Mais sans succès, puisque, fin novembre 2018, le TA de Montpellier nous envoie une ordonnance de renvoi devant la CAA de Marseille.
Et quelques jours plus tard (le 3 décembre 2018), le greffe de la CAA nous renvoie l’accusé de réception de notre recours – qui lui a été automatiquement transmis par le TA – assorti d’une demande de régularisation de ce recours, laquelle régularisation consiste en la présentation par un avocat, sous délai de quinze jours ! Faute de quoi notre recours serait déclaré irrecevable.
Pour nous c’est une défaite, il nous semble impossible de répondre dans les délais – il faut voir aussi à quelle période on se trouve, mi-décembre … Bref, nous décidons de ne pas répondre, ce qui signifie mettre une croix sur ce recours.
Fin du premier épisode !

Mais, « contre toute attente », alors que l’affaire semble close, elle rebondit le mercredi 23 janvier. Ce jour là, l’association SOS Lez reçoit par email deux courriers du greffe de la Cour Administrative d’Appel de Marseille, le premier indiquant que la demande régularisation du 3 décembre 2018 est nulle et non avenue (autrement dit : l’assistance d’un avocat n’est pas obligatoire) et le deuxième fixant la date de l’audience (courriers confirmés depuis par lettres recommandées).

C’est donc un deuxième épisode qui s’ouvre, et qui sera très rapide puisque seulement 12 jours séparent cette nouvelle information de la date d’audience! Nous n’en tirons bien sûr aucun « pronostic » sur le jugement qui sera finalement prononcé par la CAA, et devons rester très prudents. Mais, au moins, cette position de la CAA – que nous cherchons maintenant à analyser avec nos conseillers juridiques de FNE et de Des Terres Pas d’Hypers – fera jurisprudence. Nous aurons donc – involontairement (!) – fait sauter un des verrous que les pouvoirs publics ne cessent de mettre en place, depuis 2014 au moins, pour restreindre de plus en plus – et tenter de rendre impossible – le droit de recours des associations environnementales « gêneuses », empêcheuses des grands projets inutiles de tourner en rond et c’est pour nous, déjà, une grande satisfaction! Ce droit de recours – un droit reconnu dans la constitution ! – fait partie des outils légaux et non violents dont disposent encore les associations et les citoyen.ne.s pour lutter contre ces projets, et ces moyens peuvent se montrer efficaces. Plusieurs projets – proches de nous par la thématique – ont en effet été abandonnés récemment suite à des actions judiciaires victorieuses (projet Oxylane de Saint-Jean-de-Braye près d’Orléans, projet Val Tolosa de Plaisance du Touch près de Toulouse, Hinterland de Poussan près de Sète, golf de Saint-Hilaire de Brethbas, près d’Alès, etc.) ou mis fortement à mal par des jugements forts (projet Europacity au triangle de Gonesse près de Paris, un des plus significatifs ! mais pas le seul …). C’est pourquoi, surtout dans le contexte actuel, la défense de cet outil important, parmi d’autres, est fondamentale.